Activités

Quelques réflexions personnelles à l’issue du festival de Cannes

Écrit par Marie-Claire KUO (traduit par Kuo Kwan Leung) pour Dazhong dianying 大众电影.

 

En cette année 2016, mon séjour au festival de Cannes a été particulièrement bien rempli, à la fois par les nombreux films que j’ai vus, mais aussi  du fait que j’ai aussi participé à quelques unes des nombreuses activités  en marge de la compétition, notamment lors d’une matinée consacrée aux co-productions avec la Chine.

La sélection des films.

De l’avis général, la compétition, à la fois éclectique et très contemporaine, était d’un niveau particulièrement élevé.

Après avoir visionné un nombre de films encore plus important que l’année dernière (1869 longs métrages), les équipes des comités de sélection, sous la direction de Thierry Frémaux et de son assistant Christian Jeune, ont choisi 49 films :

23 films en compétition

16 hors compétition ou en séances spéciales

20 à Un certain regard .

Il y avait aussi 10 courts métrages (sur 5008 visionnés) auxquels s’ajout  aient les 18 courts métrages de la Cinéfondation.

Egalement en nette augmentation par rapport à l’année dernière, 10 premiers films de la sélection officielle concouraient pour la «Caméra d’or» ce qui ,avec les 16 premiers films des sections parallèles, faisait un  total de 26 premiers films.

Si le Festival de Cannes cette année encore est resté fidèle à des réalisateurs qu’il suit depuis de nombreuses années, il faut aussi souligner que 27 pays étaient représentés dans cette sélection officielle,  ce qui, comme Thierry Frémaux l’a souligné à la conférence de presse en avant première du festival, montre à quel point le Festival de Cannes tient à «l’universalité du cinéma», ajoutant que «cela fait de ce festival un festival mondial, international»… un festival qui entend montrer la vitalité de la création au niveau mondial»… Pour finalement conclure par cette phrase «pour que des cinéastes qui ne sont pas encore repérés sur la carte mondiale, puissent venir présenter leur travail … quitte pour nous à prendre des risques»..

Dans les sections parallèles, la sélection, également riche et diversifiée, s’est faite en fonction de critères semblables avec 27 longs métrages + 11 courts métrages à la « Quinzaine des réalisateurs », 7 longs métrages + 10 courts métrages à la Semaine de la critique.

Enfin le programme Cannes-Classics, enfant chéri de Thierry Frémaux qui le présente lui-même depuis plus de dix ans, a montré à travers une sélection de films restaurés et de documentaires, venus de partout, l’importance de connaître les grands films qui font l’histoire mondiale du 7e art. C’est particulièrement important au moment où on nous annonce sa totale transformation avec le développement de la réalité virtuelle, aujourd’hui très à la mode à partir de techniques qui , aussi séduisante soient-elles, risquent de le transformer rapidement le cinéma en jeu vidéo, au mépris des valeurs humaines et artistiques qui ont fait sa grandeur depuis  le début de son existence.

Le jury de la compétition , formé de professionnels du cinéma de différents pays (principalement des acteurs et réalisateurs) sous la présidence du réalisateur australien George Miller, a confirmé l’éclectisme de la sélection en primant des films d’origines très différentes.

Quand certains critiques l’ont accusé de conformisme, notamment dans l’attribution de la palme d’or, George Miller s’est justifié n disant que les neufs jurés étaient pleinement d’accord entre eux et que «chaque film avait été jugé selon ses propres qualités».

Il a également défendu ses jurés pour avoir donné deux prix au réalisateur iranien Ashgar Faradhi (décision contestée par ceux qui disent que ce n’est pas sa meilleure œuvre) pour son film Le client, film très intéressant pour sa description subtile des contradictions de la société iranienne face à l’actuel puritanisme obligé.

Les prix.

La Palme d’or a été décernée à I David Blake, film de Ken Loach, lauréat de cette distinction pour la deuxième fois,  un cinéaste qui, à 79 ans, n’a rien perdu de son esprit combatif et qui continue à faire des films dont le contenu social inattaquable peut toucher tous les publics, même si on peut lui reprocher de le faire dans un style qui manque parfois d’originalité..

Juste en dessous, c’est un film très différent Juste la fin du monde du canadien Xavier Dolan qui obtenait le Grand Prix, le jury ayant voulu saluer un film tourné en 35mm et dont le beau texte était interprété par des grands acteurs. Pour conclure, le Hongrois Lasio Nemes (lauréat l’année dernière du même grand prix pour Le Fils de Saul) a ajouté « nous avons récompensé un réalisateur qui suit une voie personnelle, hors des sentiers battus ».

Le Prix de la mise en scène était partagé entre Baccalauréat, (critique implacable et toute en nuances de la société roumaine aujourd’hui), film particulièrement bien fait du Roumain Christian Mengiu qui en 2007 avait obtenu la palme d’or pour  4 mois, trois  semaines, deux jours et Personal Shopper d’Olivier Assayas, film original et contesté que certains ont adoré, alors que d’autres le condamnaient.

Dans ce palmarès, l’absence de Toni Erdmann, comédie de la réalisatrice allemande Maren Ade particulièrement appréciée par la critique , a été à la fois une surprise et une déception car si ce film n’était sans doute pas digne de la palme, il méritait le prix de la meilleure actrice pour l’excellente . Sandra Hüller. Mais cette année les performances d’actrices ont été si nombreuses qu’il était difficile de choisir et finalement on peut aussi se féliciter de l’attribution de ce prix à la comédienne Jaclyn Jose interprète principale du film Ma’ Rosa du Philippin Brillante Mendoza.

Il faut aussi regretter que dans ce palmarès les très beaux films que sont  Elle de Paul Verhoeven et Julietta de Pedro Almodovar n’aient pas été primés, sans doute parce que cette année il y avait trop de bons films !

Si les choix du jury , comme toujours, ont été subjectifs, émotionnels et personnels, en ce qui me concerne, je dois dire que dans l’ensemble je n’ai pas été déçue par le palmarès, sans doute parce que ce qui moi me plait le plus à Cannes c’est que ce festival soit un miroir du monde dont chaque année il me propose les photos instantanées de situations éclectiques et contrastées qui me font réfléchir à son évolution et me permettent de le comprendre un peu mieux.

Si, comme tout le monde, j’apprécie qu’il y ait des films de genre pour me distraire, en même temps je suis bien obligée d’accepter que notre époque génère de plus en plus de films graves  et, finalement, ce n’est pas pour me déplaire.

J’ai aimé que le film d’ouverture, Café Society de l’Américain Woodu Alen, fasse revivre avec brio les milieux du cinéma à Hollywood avant le guerre, mais, à l’opposé du plaisir d’apprécier celle belle reconstitution d’époque , j’ai été totalement prise par  le film d’ouverture d’un Certain Regard , Clash de l’Egyptien  Mohamed Diab qui d’emblée plonge le spectateur dans le huis clos éprouvant d’un fourgon de police dans lequel s’entassent des gens de toutes origines, hommes et femmes, arrêtés lors des manifestations  du Caire en 2013.Ces gens, d’ opinions divergentes doivent cohabiter et se supporter un jour et une nuit,  sans boire ni manger, suffoqués par le manque d’air et les grenades lacrymogènes jusqu’à ce que leur souffrance les rapprochent un instant  avant que leurs idéologies opposées les séparent brutalement à nouveau.

J’ai aussi beaucoup apprécié que, loin des paillettes d’Hollywood et du confort que l’en associe généralement à L’American way of life, certains films tournés aux U.S.A. montrent une société contrastée où, qu’encore aujourd’hui, comme dans American Honey de la réalisatrice anglaise Andrea Arnold, lauréate (pour la troisième fois à Cannes) du prix de la mise en scène, il existe des groupes marginaux vivant à la limite de la pauvreté, avec un amour de la vie et un dynamisme et qui forcent l’admiration

Les contrastes des Etats-Unis, je les ai aussi trouvés dans Loving de l’Américain Jeff Nichols qui relate l’histoire exemplaire (et vraie) d’un couple interracial, lui blanc, elle de couleur, qui au début des années 1960 n’avaient pas le droit de se marier et de vivre ensemble dans leur Virginie natale, un état du Sud où le racisme était latent, jusqu’à ce que le mouvement des Civil Rights initié dans le nord, leur donne le moyen de se défendre avec l’aide d’un jeune avocat, pour finalement obtenir qu’un amendement modifie la constitution de l’état fédéral, obligeant la Virginie à céder.

Enfin, présenté hors compétition, Money Monster, de la célèbre star américains Jodie Foster, passée à la réalisation, est une réflexion courageuse sur les dérives de des médias dans son pays, mais cette fois ce problème de portée universelle n’est pas limité aux sels Etats-Unis et nous touche aussi directement.

A Cannes, il y a tant de choses à voir qu’il est difficile d’avoir une vue d’ensemble des films projetés. Chacun y vit le festival à sa façon, en fonction des projections auxquelles il peut assister et pas toujours selon ses goûts personnels. Quoi qu’il en soit, parmi tous les festivals auxquels il m’a été donné d’assister, je crois que c’est Cannes qui m’a offert la plus de passion et d’émotion en m’offrant année après année cette vitrine exceptionnelle d’un monde en perpétuel renouvellement qui me remplit d’effroi mais me donne aussi beaucoup d’espoir.

 

MCK (traduit par KLKuo)